Pays de Retz
Legimi
Un Nantais raconte le pays de ses vacances et de ses souvenirs de jeunesse. Marc Elder est le nom de plume de Marcel Tendron, originaire de Nantes (1884-1933), critique d’art, historien et conservateur du château des ducs de Bretagne. Avec ce récit, l’auteur nous raconte le pays de ses vacances, le pays de souvenirs merveilleux de jeunesse. Depuis l’âge le plus tendre, l’été me ramène au Pays de Retz. Je m’arrête parfois sur cette route de Bourgneuf, un peu au-delà de La Bernerie, au lieu dit le Chambaraud. Il y a là une vigne, un cellier, gloire d’un ancien voilier qui les fonda naguère. Cet homme était court et portait, sur une barbe blanche, un visage qui avait l’air d’un soleil couchant sur la neige. Le vin blanc, qu’il caressait, lui ménagea, non sans prévenir, une congestion radicale. Il finit dans le faste d’un petit bourgeois glorieux et renté, ajoutant aux assises d’une propriété réputée les agréments du yachting et de l’auto… Plongez dans ce récit, et tombez sous le charme de la plume de Marcel Tendron, critique d’art, historien et conservateur du château des ducs de Bretagne. EXTRAIT Brusquement, passé la gendarmerie, le monde s’abîmait dans un désert d’étoiles tout rempli de bruissements comme si le ciel chantait. Le relent fade des vases du marais, mêlé au parfum de violette du sel nouveau, rôdait sur des brises agonisantes, et la mer, encore lointaine, tendait jusqu’à notre visage ses doigts humides. Nous n’avions pas moins de six kilomètres à faire le long des digues qui défendent le polder, tantôt longeant des chaumes clairs, des guérets sombres, tantôt côtoyant des étiers où l’eau dormait, lourde, glacée, inquiétante et déchirée de temps à autre par les soupirs des fonds. Les gammes fluides d’un ruisseau, le cri d’une mouette, la foulée d’un lapin surpris et nos pas sur le sentier mou, voilà toute la vie. Nous marchions vers les étoiles, l’esprit dilaté, les poumons frais, le corps porté sur les flots denses du calme. La nuit s’achevait dans la paille du père Papon qui se levait en chemise pour nous conduire à sa grange, en balançant à bout de bras un falot le long de ses tibias secs. Nous surprenions toujours le bonhomme au lit avec sa jeune servante, Sulamite de ce David vendéen. Avant l’aube, le café chauffé aux bousas qui rougeoyaient dans la cheminée fumait sur la table de la ferme. Le mobilier n’était fait que d’épaves : panneaux de rouf, claires-voies, capots… et, jusqu’au linge, tout sentait le roussi. En sortant, nous trouvions sur l’aire un des fils du vieux, armé d’une gigantesque canardière bourrée de deux charges de poudre et d’une poignée de double zéro. Depuis bien des années, je n’ai revu ni le Paracaud, ni la ferme des Papon où le grand vieillard a dû s’éteindre, quelque jour, entre la mer et le vent, sous son chaume précaire. Je ne suis ni chasseur ni pêcheur d’instinct, et seul le feu de la jeunesse me poussait au jeu. Mais l’aube se lève toujours là-bas, comme naguère, quand nous étions blottis derrière le mur des caloges, aube floconneuse, grise, lente, qui lutte avec peine contre les ténèbres blanches où les phares clignotent hâtivement avant de mourir.
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